Publié sur Acrimed, le 15 septembre 2022
« Je vous garantis désormais une vigilance renforcée » clamait Julien Arnaud le 6 septembre, après une grosse erreur diffusée sur LCI. Patatras, une semaine plus tard, son acolyte David Pujadas – et son équipe – se font les chefs d’orchestre d’un odieux concert de désinformation…
Ainsi, dans son émission « 24H Pujadas » du 12 septembre, David Pujadas annonce investir « ce débat brûlant » qui va servir de « toile de fond du débat de la réforme sur l’assurance chômage », à savoir la différence de revenus issus de « l’assistance » et ceux issus de l’emploi…
Et d’introduire ainsi : « Cette différence est-elle trop peu marquée pour encourager le retour à l’emploi ? »
Sujet « brûlant » s’il en est, puisqu’il s’agit de répondre à la question : « Y a-t-il oui ou non des situations où l’avantage financier à travailler n’est pas si évident par [rapport à] l’avantage financier à ne pas travailler ? » Et de plastronner : « On va établir la vérité des chiffres ».
S’ensuivent alors « Les indispensables », une séquence préparée par Quentin Bérichel, un « petit travail de mise à plat » précise Pujadas, qui s’est fait avec l’aide de Pascal Perri, éditorialiste économique de LCI… Une précision qui n’est pas anodine, comme on va le voir.
Sont alors présentés « deux cas concrets », résumés sous forme d’infographies (voir ci-dessous), comparant les revenus d’une personne seule au SMIC et ceux d’un chômeur (tous deux avec 2 enfants), puis ceux de deux couples (tous deux avec 2 enfants), au smic pour l’un et au chômage pour l’autre.
Dans le premier cas, la situation ne permettant pas d’attester un « avantage financier à ne pas travailler », Pascal Perri explique qu’« il y a des situations différentes entre les travailleurs et les chômeurs. Puisque lorsque l’on est travailleur, des frais supplémentaires s’ajoutent, dans bien des cas. » Car « le plus choquant dans tout ça – comme il l’énoncera plus tard – c’est que, pour aller travailler, il faut investir » : « Exemple avec la garde d’enfants. […] il faut également compter les frais de transport ». C’est bien connu, les chômeurs restent à la maison et se déplacent tous gratuitement !
L’éditorialiste économique de LCI poursuit et va jusqu’à affirmer – sans être contredit : « Les personnes qui sont par exemple au RSA peuvent bénéficier de l’Aide médicale d’État. Y a pas de reste à charge pour ces personnes. C’est un avantage additionnel […] Elles peuvent bénéficier de la gratuité des transports publics. Donc on a malgré tout en France un certain nombre de dispositifs qui aggravent encore le différentiel ». Confusion à tous les niveaux : le chômeur devient un allocataire du RSA ; la complémentaire santé solidaire (ex-CMU) devient l’AME ((Doit-on rappeler que « l’aide médicale de l’État est un dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins » ? Et que par conséquent, ils ne peuvent prétendre au RSA, lequel ne peut être demandé qu’après 5 ans de résidence régulière en France…)).
Dans le second cas, le diagnostic de LCI est encore plus bidon, la situation du couple de chômeurs étant complétement faussée par les 688€ de RSA… auxquels ils n’ont en fait pas droit. ((Le site Service public indique que le droit au RSA ne peut être ouvert que lorsque « le montant [des] revenus est inférieur au montant forfaitaire » de ce dernier.)) Par ailleurs, l’organisation ATD Quart Monde « a refait le calcul » et repéré d’autres anomalies.
Aucuns des invités présents sur le plateau, parmi lesquels Thomas Legrand (France Inter et éditorialiste à Libération), n’osera relever pareilles bévues – pire, ce dernier ira jusqu’à dire que ces « chiffres sont imparables » et que « tout ça est tout à fait vrai ».
Pascal Perri a donc tout loisir d’asséner : « À l’évidence on a un écart qui est très insuffisant. La question que vous posiez c’est : est-ce que c’est incitatif à prendre un boulot ? C’est la seule question que l’on doit se poser ». Et David Pujadas d’insister : « Encore une fois on ne préjuge pas du comportement de ceux qui cherchent un emploi », « pas du tout » répète Pascal Perri… ou encore « on n’oppose personne (( L’expression reviendra plusieurs fois.)) ». Assurément !
Le cadre, totalement fallacieux, d’un débat qui n’en est plus un, est alors posé par le maître de cérémonie : « Mais simplement, si on est rationnel et du point de vue des politiques publiques, est-ce qu’il n’y a pas un problème d’incitation insuffisante […] Est-ce qu’on peut se dire que […] cet écart est insuffisant […], qu’en pensez-vous ? »
Sûrement fier de sa démonstration, qui s’apparente ici clairement à de la manipulation, Pascal Perri peut conclure, le sourire en coin : « Vive le travail ! »
Sauf quand celui-ci est – une fois de plus – bâclé, voire proprement mensonger !
Nils Solari
Post Scriptum : La députée Sarah Legrain (qui était présente en plateau) et son collège Hadrien Clouet ont écrit au CSA pour signaler la séquence.
Addendum (16/09) : Pascal Perri et David Pujadas persistent de mauvaise foi
Le 15 septembre, David Pujadas et Pascal Perri reviennent sur la séquence du 12 septembre :
David Pujadas : Une précision en forme de correction : quand on fait une erreur, il faut d’abord le reconnaitre, le dire et la corriger…
Pascal Perri, en fond : Oui… Oui… Absolument !
D. P. : C’est le contrat de confiance. Donc vous nous dites, Pascal, qu’il y a eu une erreur sur l’un des tableaux quand on a évoqué la comparaison entre les revenus du travail et de l’assistance ?
P. P. : On a commis une erreur qui n’emporte pas de conséquence sur le fond… Simplement, on a considéré, vous vous rappelez peut-être le contexte : on comparait un couple avec deux enfants au Smic et un couple avec deux enfants bénéficiant des revenus de l’assistance. Et nous avons considéré dans notre calcul, c’est là qu’on a commis une erreur, qu’il y avait deux RSA. Un RSA A et un RSA B dans le couple qui bénéficie de l’assistance sociale. Or il y a un RSA familial, qui est moins important. Et donc il fallait retenir… alors dans le premier cas, au Smic, ça ne change pas. Il y a toujours une prime d’activité : on a mis 200 euros parce qu’il y a deux personnes…
D. P. : RSA ou Aide au retour à l’emploi, plus précisément…
P. P. : C’est ça… Et… et on a une Aide au retour à l’emploi qui est supérieure au RSA, c’est pour ça qu’elle se substitue au RSA, plus des APL, donc on a refait la simulation cet après-midi, ça donne un écart de 552 euros en faveur du travail. Alors [pointant du doigt], on n’a pas tenu compte davantage d’un autre élément… J’ajoute, puisque les remarques qui nous ont été faites nous donnent l’occasion de compléter ces tableaux… le couple qui bénéficie des minimas sociaux bénéficie également de la Complémentaire Santé Solidarité, avec zéro reste à charge, de la gratuité des transports publics, puisqu’elle est éligible au forfait solidarité transport, en bénéficiant ou de l’ARE ou du RSA, et au tarif social de l’électricité puisqu’elle est éligible à la complémentaire santé. C’est très compliqué tout ça, de temps en temps on commet des indélicatesses, des erreurs, qu’il y ait des anomalies dans nos calculs… Mais tout ceci réduit donc finalement les écarts qu’on a montrés. Euh… Aller travailler ça coûte cher, rester chez soi ça coûte moins cher. La démonstration reste à mon sens pertinente… les revenus… vous vous ferez votre avis…
D. P. : Oui, le débat reste ouvert !
P. P. : Bien sûr !
D. P. : Mais c’est vrai que c’est bien de donner les vrais chiffres et on a donné un chiffre légèrement supérieur au couple qui ne travaillait pas, en fait il est inférieur de 550 euros, est-ce que c’est un écart suffisant ? Surtout qu’il n’est sans doute pas aussi grand compte tenu des facteurs que vous évoquez…
P. P. : C’est ça ! Il est brut et il faut le raffiner.
D. P. : En tout cas, c’est le débat.
Fidèle à une certaine tradition journalistique, les deux compères de LCI concèdent donc (après moult protestations) à reconnaître « des indélicatesses », « des anomalies », voire éventuellement « des erreurs », sans pour autant battre leur coulpe, puisque c’est « une erreur qui n’emporte pas de conséquence sur le fond » et que « vous vous ferez votre avis », mais que du point de vue de Pascal Perri « la démonstration reste […] pertinente »… Qu’importe si au départ, ils avaient donné un avantage financier au couple de travailleurs au chômage, et qu’après recalcul, cet avantage est en fait près de treize fois supérieur pour le couple en emploi ! « La démonstration reste pertinente » on vous dit !
Qu’importe également, de reconnaitre « une erreur sur l’un des tableaux » quand d’autres acteurs ont rappelé que les chiffres des deux infographies étaient faux !
Pis, Pascal Perri maintient la confusion entre Allocation de retour à l’emploi (ARE) (qui au passage devient ici « Aide au retour à l’emploi », mais passons…) et Revenu de solidarité active (RSA), et les réductions (notamment en termes de gratuité des transports) qui y sont associées (ou pas) suivant le cas. Mais voyez-vous, « c’est très compliqué tout ça »…
En bons éditorialistes qui ne dérogent pas de leur point de vue (« Est-ce que c’est un écart suffisant ? »), David Pujadas et Pascal Perri persistent et signent sur leur constat : « Il est brut et il faut le raffiner » (de quoi ?). Mais « le débat reste ouvert », évidemment…
Rideau !